Lorsque je lis les poèmes de Birhan Keskin, j'entends un oud jouant un double makam : l'un fixe, l'autre spontané/improvisatoire. En filigrane, le fixe s'enracine dans les archétypes poétiques de Layla et Majnun, le poème persan de l'amour, de la perte et de la rédemption spirituelle, sauf qu'ici on ne sait plus qui est majnun, c'est-à-dire fou ou possédé, tandis que le spontané/improvisatoire fait bouillir le langage, le rend littéralement concret (comme dans la « poésie concrète »). Ou bien est-ce que l'écrit est silencieusement sonné et le sonné silencieusement écrit ? Il y a ici une quête, une quête d'une spiritualité visionnaire mais non religieuse, résumée dans le titre lui-même, Y'ol, « the road to becoming » (la route du devenir). « Je ne peux m'empêcher de penser à une lignée qui va de Rabia de Basra, la première femme poète mystique soufie, à un contemporain tel qu'Adonis. Seul un poète-traducteur de l'envergure de Murat Nemet-Nejat, avec sa dextérité linguistique et ses connaissances approfondies, aurait pu accomplir le tour de force de transposer cette œuvre en anglais. Pierre Joris « l'autre appelle celui qui n'est pas là / c'est ainsi que la magie devient magie » - c'est incontournable. Vivre, c'est désirer, donc finalement angoisser. Dans Y'ol, le monde est instable, voire indigne de confiance. Mais l'amour n'en est que plus important : « le ciel où je reviens, où je reviens, où je reviens / où je reviens, c'est toi ».
L'amour, défini dans ces poèmes par une aspiration sans fin, aurait pu être nié, mais au lieu de cela, il est maintenu, même si ces poèmes de force morale doivent brûler leurs pages. Le titre « Y'ol » signifie « la route du/vers le devenir ». « Ce Y'ol présente la musique déchiquetée de la métamorphose et lire ces poèmes, c'est discerner des chants qui ne sont possibles qu'avec le silence enflammé. Le Y'ol d'Eileen Tabios Birhan Keskin est un accomplissement singulier, un livre sur le désir, la perte et la folie à grande échelle, l'équivalent turc, peut-être, de quelque chose comme le Désert mauve de Nicole Brossard. Les amants de Keskin brisent les liens de la construction des phrases et même de l'ordre numérique avec la fureur du « retenu et détenu » - un long poème dans des sections numérotées fait une confusion avec les nombres eux-mêmes, comme si les pièces individuelles avaient été dispersées sur les pages comme des dés dans un gobelet à dés. La passion qui s'en dégage coupe presque le souffle du lecteur, et la traduction agile de Murat Nemet-Nejat saisit aussi bien les nuances qu'elle nous fait découvrir la chair et le sang de deux femmes jouant leur va-tout dans un paysage érotique comme je n'en ai jamais vu dans la poésie contemporaine. Kevin Killian Je suis un fan inconditionnel de ce qui se passe dans Y'ol de Birhan Keskin. Il me secoue dans mon écriture, mon cœur et mon esprit. C'est mon quotidien. Son flot est ouvertement expérimental, mais il opère incontestablement à partir de l'aveuglement profond de la poésie, le langage cherche un lieu.
Ces versets sont sales comme la route de l'amour. Immédiatement, j'ai lu Y'ol avec tout mon être, je me suis sentie interpellée et attirée comme si j'observais un athlète ou un praticien de yoga extraordinaire en train de faire ses pas, et pourtant c'est la nature de cette forme d'art de bouger, de se déchirer et d'aller de l'avant vers le néant. C'est une danse virtuose et un effondrement, un rappel et une révélation. Chaque amant devient son « nous ». Eileen Myles
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Dernière modification: 2024.11.14 07:32 (GMT)